Sur le chapitre des régimes matrimoniaux, tout expert en droit patrimonial se doit de maîtriser les dispositions d’ordre public relatives au régime primaire. Ainsi les couples mariés, quel que soit leur régime matrimonial, se voient confrontés aux dispositions du 3ème alinéa de l’article 215 du code civil. Ces dernières interdisent les actes de dispositions sur « le logement de la famille, ainsi que sur les meubles meublants dont il est garni ». Cette protection du « logement de la famille », qui constitue l’un des piliers du mariage, a été au cœur des débats de de la Cour de cassation. La Haute cour a dû procéder à un arbitrage entre la disposition précitée et celles relatives aux règles de l’indivision. L’objet de cette newsletter est de décrypter l’analyse des juges et de mesurer les enjeux pratiques de la problématique.

I. Une protection du « logement de famille »

A. Un principe de protection universel applicable quel que soit le régime matrimonial retenu

Le régime primaire est d’ordre public et concerne tous les époux unis par le mariage, et quel que soit le régime matrimonial adopté (communautaire ou séparatiste).

Cette protection concerne donc tous les modes de détention du « logement de la famille » que ce dernier soit:

  • un bien personnel ;
  • un bien propre ;
  • un bien commun ;
  • un bien indivis.

Nous vous proposons par le biais du tableau ci-dessous de synthétiser les différentes solutions susceptibles d’être rencontrées. (les détentions indivises qui nous intéressent plus particulièrement ici figurent en caractères gras) : , Il s’agit d’un tableau à triple entrées. Trois critères sont retenus :

– la date d’acquisition des biens ;

– le régime matrimonial des époux ;

– la ou les personnes qui financent l’acquisition des biens.

Acquisition avant le mariage

Acquisition pendant le mariage

Communauté réduite aux acquêts

Seul

Bien propre

A deux

Bien indivis

Seul

Bien propre (1)

A deux

Bien commun

Communauté de meubles et acquêts

Seul

Bien propre

A deux

Bien indivis

Seul

Bien propre (1)

A deux

Bien commun

Communauté universelle

Seul

Bien commun

A deux

Bien commun

Seul

Bien commun

A deux

Bien commun

Séparation de biens

Seul

Bien personnel

A deux

Bien indivis

Seul

Bien personnel

A deux

Bien indivis

Si adjonction d’une mise en communauté

Seul

Bien commun

A deux

Bien commun

Seul

Bien commun

A deux

Bien commun

Si adjonction d’une société d’acquêts

Seul

Bien commun

A deux

Bien commun

Seul

Bien commun

A deux

Bien commun

(1) avec une clause de remploi

B. Une interdiction de disposer seul

Le 3ème alinéa de l’article 215 du Code civil dispose « Les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer […] ».Mais qu’entend-on ici par « disposer » ?

Les actes de dispositions portent sur la propriété du bien, notamment, la vente, la donation, la mise en place de sûreté réelle (hypothèque, privilège de prêteur de deniers)…

On soulignera que la sanction d’un acte de disposition portant sur le « logement de la famille » sans l’accord des deux époux est la nullité !

C. Une protection déjà source d’une jurisprudence nourrie

Comme on peut légitimement s’en douter, la jurisprudence relative aux dispositions du 3ème alinéa de l’article 215 du Code civil est abondante.

Nous pouvons à ce titre citer quelques décisions majeures :

  • Possibilité de vendre seul le « logement de la famille » par l’époux gérant d’une SCI et détenant 99% du capital constitué avec des deniers communs (l’épouse détenant le 1% restant) : Cass. 1ère 14 mars 2018 n°17-16.482 ;
  • Possibilité de donner seul le « logement de la famille » par l’époux détenant le bien en propre et se réservant un usufruit simple (le contentieux est né alors que l’époux était en instance de divorce et n’habitait plus dans le logement) : Cass. 1ère 22 mai 2019 n°18-16.666 ;
  • Aucune action en nullité contre l’hypothèque donnée par un époux pendant le mariage sur un bien propre dès lors que l’épouse agissait après le divorce et n’habitait plus le logement : Cass. 1ère 3 mars 2010 n°08-13500 ;
  • Pas d’indemnité de dédit même si le délai de retractation suite à signature d’un compromis s’était écoulé, dès lors que l’épouse n’avait pas signé le compromis : Cass. 1ère 3 mars 2010 n°08-18947.

L’objet de notre étude est de traiter d’un autre type de contentieux qui porte sur la possibilité pour le liquidateur d’un des deux époux d’imposer le partage sur le « logement de la famille » détenu en indivision.

II. Les droits des créanciers d’une indivision visés par l’article 815-17 du Code civil

A. Les dispositions légales

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