Entré en vigueur en 1999, le dispositif Dutreil, qui s’est réellement développé à compter de 2003 et qui a fait depuis l’objet de nombreuses réformes législatives, est malheureusement source d’un important contentieux. Depuis l’adoption de la loi de finances pour 2019 (et les commentaires publiés par Bercy en date du 21 décembre 2021) nous pouvons constater une certaine stabilité du régime.

Cependant, le législateur est venu dans la loi de finances pour 2024, effectuer quelques retouches, afin à nouveau d’adapter la législation en réponse à la jurisprudence récente.

I. La genèse du Dutreil et son évolution

1999 : un dispositif destiné aux transmissions par succession

La démarche du législateur visait à l’origine à éviter que les héritiers d’un chef d’entreprise ne soient obligés, lors de son décès :

  • soit, pour acquitter les droits, de prélever sur l’entreprise des sommes excessives sous forme de dividendes, au risque d’obérer leur capacité de développement ;
  • soit de céder l’entreprise à un tiers, dans un contexte croissant d’acquisition de PME et ETI françaises par des groupes étrangers, susceptibles d’en restructurer l’activité pour l’intégrer dans leur propre processus de production, au détriment le cas échéant de l’emploi et du tissu industriel français.

2003 : extension du champ d’application aux donations en pleine propriété

L’article 43 de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique a étendu ce dispositif d’exonération partielle aux donations d’entreprises consenties en pleine propriété.

2005 : L’exonération est portée à 75% avec une réduction de droits pour les donations en pleine propriété, le régime est également ouvert aux donations avec réserve d’usufruit

L’article 28 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises a aménagé ce dispositif en portant le taux de l’exonération partielle de 50 % à 75 % et en permettant l’application de l’exonération partielle aux donations d’entreprises consenties avec réserve d’usufruit.

En cas de donation en pleine propriété avant 70 ans, l’avantage fiscal peut se cumuler avec une réduction de droits de 50 %, prévue à l’article 790 du CGI et réservée aux transmissions d’entreprises.

L’article 21 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 a aménagé le dispositif prévu à l’article 787 B du CGI afin de permettre, sous certaines conditions, l’apport de titres soumis à engagement à une société dont l’objet unique est la gestion de son propre patrimoine constitué exclusivement d’une participation dans la société dont les parts ou actions ont été transmises.

2007 : l’engagement individuel de conservation passe de 6 à 4 ans, l’engagement post mortem est possible, l’engagement réputé acquis est assoupli

L’article 15 de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008 a procédé à une nouvelle réforme des dispositions de l’article 787 B du CGI et de l’article 787 C du CGI :

  • L’engagement individuel de conservation des titres ou des biens affectés à l’exploitation de l’entreprise a été réduit de six à quatre ans ;
  • Lorsque la succession n’a pas été préparée pour entrer dans le champ du régime d’exonération partielle, les héritiers ou légataires peuvent conclure un engagement collectif dans les six mois qui suivent la transmission ;
  • L’engagement peut être réputé acquis, non seulement en cas de détention par une personne et son conjoint, mais également en cas de détention par une personne seule ou par des personnes liées par un pacte civil de solidarité, lorsque cette personne ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité remplissent la condition de détention applicable et celle tenant à l’exercice de l’activité professionnelle principale ou d’une fonction de direction dans la société dont les titres sont transmis ;
  • La condition tenant à l’exercice de l’activité professionnelle principale ou d’une fonction de direction s’applique à compter de la période couverte par l’engagement collectif, afin de faciliter la continuité de l’activité, puis au cours des trois années suivant la transmission ;
  • Enfin, les titres soumis à l’engagement individuel de conservation peuvent être apportés, sous certaines conditions, à une société détenant des participations dans une ou plusieurs sociétés du même groupe que celle dont les parts ou action ont été transmises.

L’article 31 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 a également aménagé ces dispositions en permettant la donation des titres ou des biens qui font l’objet d’un engagement individuel à des descendants, sous réserve que ceux-ci poursuivent l’engagement individuel jusqu’à son terme.

2008 : maintien du Dutreil en cas d’apport avec soulte à la suite d’une donation-partage

L’article 12 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 a permis, sous certaines conditions, les apports partiellement rémunérés par la prise en charge d’une soulte consécutive à un partage à une holding durant l’engagement individuel de conservation.

2009 : Éligibilité du dispositif en cas de détention avec un double niveau d’interposition

L’article 34 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 a prévu que l’exonération partielle des transmissions de parts ou actions de sociétés détenant, directement ou par l’intermédiaire d’une autre société, une participation dans une société dont les titres font l’objet d’un engagement collectif de conservation n’est pas remise en cause en cas d’augmentation de la participation détenue par les sociétés interposées.

2011 : possibilité d’intégrer de nouveaux associés à l’engagement collectif

L’article 12 de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 a assoupli les conditions d’application de l’article 787 B du CGI, d’une part, en permettant à de nouveaux associés d’adhérer à des pactes déjà conclus, d’autre part, en prévoyant, sous certaines conditions, la non-remise en cause des avantages fiscaux en cas de cession de titres pendant la durée de l’engagement collectif.

2019 : instauration de l’engagement individuel de conservation

L’article 40 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 a procédé à plusieurs modifications :

  • Possibilité pour une personne seule de souscrire, pour elle et ses ayants cause à titre gratuit, l’engagement unilatéral de conservation ;
  • Modification, afin de tenir compte des droits de vote double, des seuils minimums de détention requis pour la souscription d’un engagement collectif de conservation. Ceux-ci sont fixés respectivement à 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote pour les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé ou à 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote pour les sociétés non cotées ;
  • Élargissement du champ des engagements réputés acquis (ERA) à la détention indirecte d’une société et prise en compte des titres détenus par le concubin notoire ;
  • Autorisation, sous conditions, de l’apport à une société de titres soumis à engagement de conservation en cours d’engagement collectif de conservation ainsi que de l’apport de titres d’une société détenant elle-même directement des titres de la société soumis à cet engagement ;
  • Limitation de la remise en cause de l’exonération partielle de DMTG en cas de non-respect de l’engagement collectif de conservation par suite d’une cession ou donation de titres par un héritier, donataire ou légataire à un autre associé de l’engagement collectif de conservation. L’exonération n’est désormais remise en cause qu’à hauteur des seuls titres cédés ou donnés ;
  • Absence de remise en cause de l’exonération partielle de DMTG du fait du non-respect des engagements collectif et individuel de conservation par suite d’une offre publique d’échange (OPE) préalable à une fusion ou une scission opérée dans l’année qui suit la clôture de l’OPE ;
  • Allègement des obligations déclaratives, l’attestation certifiant le respect des conditions d’application du dispositif ne devant plus être fournie qu’à l’occasion de la transmission à titre gratuit et à l’expiration de l’engagement individuel de conservation ainsi que, le cas échéant, sur demande de l’administration, au cours des engagements de conservation. En cas d’interposition de sociétés, chaque société composant la chaîne de participations doit également transmettre au redevable une attestation certifiant le respect, à son niveau, des obligations de conservation.

II. Un dispositif encore (trop) peu utilisé

Les pouvoirs publics évaluent le coût annuel du « Dutreil » à 500 millions d’euros, ce qui à nos yeux apparaît faible.

Lors des dernières années, on dénombre environ 2 000 pactes chaque année.

Le recours aux pactes Dutreil a en effet connu une montée en puissance initialement progressive, à mesure que les entreprises en ont été mieux informées et que la réglementation a été allégée au fil des adaptations législatives successives.

Dans un rapport publié par la délégation aux entreprises, devant le Sénat en octobre 2022, on pouvait lire avec surprise les résultats d’une enquête menée auprès d’un échantillon représentatif de chefs d’entreprises. Selon ces résultats, 82% déclaraient ne rien savoir du Dutreil, 10% avoir une vision peu claire du sujet et seulement 8% connaissant parfaitement le dispositif.

Les données les plus récentes, communiquées aux rapporteurs par la DGFiP, figurant dans les tableaux suivants, montrent une hausse continue ces dernières années, un léger fléchissement en 2020 résultant seulement du contexte de la pandémie de Covid-19.

Plus de 91% des pactes Dutreil interviennent par la voie de donations ou donations-partages.

Cela indique que les transmissions de parts sociales de sociétés tendent à être de mieux en mieux organisées et sont d’autant plus susceptibles de bénéficier de la réduction des droits dans les cas de donations en pleine propriété avant 70 ans.

III. Bientôt le clip de fin ?

L’année 2023 était celle du vingt-troisième anniversaire (l’âge de raison ?) du dispositif Dutreil. A l’heure d’un bilan mitigé, le Dutreil transmission a failli purement et simplement disparaitre.

En effet, lors de travaux de la commission des finances de l’Assemblée nationale, en décembre dernier, un amendement (finalement non adopté par la loi) avait prévu la suppression du dispositif Dutreil transmission à court terme. (Amendement n°I-CF1816prévoyant une suppression au 31 décembre 2026).

Cet amendement ne figurait plus dans le texte adopté… mais le boulet est peut-être passé très près !

Cet élément devrait à nos yeux inciter les chefs d’entreprises et leurs conseils à entamer sans délai une réflexion pour la mise en place d’un pacte Dutreil, afin d’éviter d’avoir à subir des regrets et reproches lors de son éventuelle suppression.

IV. Retour sur les éléments clefs du dispositif

Le dispositif Dutreil transmission permet d’obtenir un abattement d’assiette de 75% (non plafonné) pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit en cas de transmission d’un patrimoine professionnel.

L’avantage est applicable tant pour les mutations en pleine propriété que pour les mutations pour lesquelles un usufruit est réservé.

Pour bénéficier du régime de faveur, il convient de respecter à la fois des conditions de fonds et des conditions de forme :

  • Préalablement à la transmission à titre gratuit, un engagement collectif ou unilatéral (depuis 2019) de conservation des titres sociaux d’une durée minimum de deux ans doit être souscrit par l’auteur de la transmission, seul ou avec d’autres associés ;
  • Cet engagement unilatéral ou collectif doit porter sur des titres qui représentent au moins 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote pour une société cotée ; ou 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote pour une société non cotée ;
  • Lors de la transmission : un engagement individuel de conservation des titres sociaux d’une durée de quatre ans souscrit par chaque bénéficiaire ;
  • Une fonction de direction doit être exercée par un signataire de l’engagement collectif ou par le bénéficiaire d’une transmission pendant tout l’engagement collectif de conservation et durant trois années à partir de la transmission ;
  • Enfin des obligations déclaratives strictes doivent être respectées à chaque phase de la transmission.

Le non-respect de l’une de ces conditions conduit à la remise en cause de l’avantage fiscal.

V. Trois aménagements avec la loi de finances pour 2024

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