Les pouvoirs publics ont présenté ce matin un nouveau projet de loi de finances rectificative pour 2012.

Ce texte prévoit outre un renforcement des prérogatives de l’administration et des sanctions en cas de contrôle fiscal, une série de mesures tendant à faire échec à trois stratégies patrimoniales bien connues. Ces dernières avaient été discutées sur le terrain de l’acte anormal de gestion ou de l’abus de droit. Le débat sera ainsi clos : le droit s’appliquera !

Voici la prose présentée ce jour et adoptée en conseil des ministres.

Lutter contre la fraude et les abus

Le projet de 3eme loi de finances rectificatives pour 2012 constitue, en matière fiscale, une étape essentielle dans le plan global de renforcement de la lutte contre la fraude et l’optimisation en matière fiscale et sociale voulu par le Gouvernement, dont les différents aspects seront rassemblés dans le plan national de lutte contre la fraude en 2013.

Les Françaises et les Français appelés à faire des efforts pour participer au redressement des comptes publics dans la justice ne comprendraient pas que certains puissent se soustraire à leur juste contribution par des manœuvres illégales ou des optimisations abusives.

Les mesures de lutte contre la fraude fiscale visent d’abord à contraindre les contribuables soupçonnés de fraude à davantage de transparence vis-à-vis de l’administration.

Trois schémas d’optimisation blacklistés !

A     Imposition du produit de la cession d’un usufruit temporaire comme le revenu tiré de l’actif sous-jacent

Montage abusif couramment constaté :

Le produit des cessions à titre onéreux d’usufruit temporaire est aujourd’hui imposé à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des plus-values.

Cette imposition dans la catégorie des plus-values permet la mise en place de stratégies d’optimisation fiscale, faisant disparaître le revenu procuré sur toute la durée de l’usufruit par le bien sous-jacent.

La stratégie la plus fréquente est la suivante : l’usufruit d’un bien productif de revenus est cédé, par exemple pour 10 ans, à une société imposée à l’impôt sur les sociétés contrôlée par le contribuable. Le produit de la cession représente économiquement le revenu procuré sur les dix ans à venir par le bien dont l’usufruit est cédé.

Alors qu’il est strictement équivalent pour le vendeur de percevoir directement ces revenus ou leur équivalent sous forme du prix de cession de l’usufruit, ce dernier sera perçu sous le régime des plus-values avec, en l’état du droit, le bénéfice d’un taux forfaitaire, et, pour les immeubles, celui des abattements pour durée de détention, qui conduisent à une exonération totale au bout de 30 ans des plus-values immobilières.

Par ailleurs, dans la mesure où le contribuable ne perçoit pas de revenus les années suivantes (puisqu’il les a intégralement perçus en une fois), il pourra faire jouer, le cas échéant, le plafonnement de l’impôt sur la fortune dans des conditions plus favorables.

De tels montages ne peuvent être remis en cause aujourd’hui que sur le fondement de l’abus de droit fiscal, lorsque les conditions propres à cette procédure sont réunies, mais l’administration ne dispose d’aucun moyen d’action pour les opérations ne vérifiant pas l’ensemble des conditions de l’abus de droit.

Descriptif de la mesure

La mesure proposée consiste à permettre l’imposition du revenu cédé sous forme d’usufruit temporaire de la même manière que le revenu sous-jacent (et non plus comme une plus-value), c’est-à-dire selon les modalités propres à chaque catégorie de revenus :

– revenus fonciers pour les immeubles,

– revenus distribués pour les droits sociaux et valeurs mobilières.

Exemple

Monsieur X a hérité d’un immeuble de rapport, propriété de sa famille depuis plusieurs générations.

Au lieu de percevoir directement les loyers correspondants, qui seraient imposés comme des revenus fonciers, il cède dix ans d’usufruit de cet immeuble (soit le droit de percevoir pendant dix ans les loyers qu’il procure) à une société qu’il contrôle et qui s’endette pour en financer l’acquisition.

Le produit de cette cession est imposé comme une plus-value immobilière. L’immeuble étant propriété de Monsieur X depuis plus de trente ans, cette plus-value est exonérée compte tenu des abattements pour durée de détention.

Les loyers perçus par la société sont imposés chez celle-ci mais pour leur montant net des charges financières ayant permis leur acquisition qui, en pratique, les annulent souvent en quasi-totalité.

Avec la mesure, le produit de la cession sera considéré fiscalement comme un revenu foncier, supprimant l’intérêt fiscal du montage.

B     Prévention des schémas d’optimisation dits de « donation-cession » de titres de sociétés

Montage abusif couramment constaté

Un montage courant en matière patrimoniale consiste à faire donation de titres recelant une forte plus-value à ses proches, ce qui a pour effet immédiat de purger la totalité de cette plus-value, avant que les donataires ne cèdent les titres reçus à brève échéance.

Cela permet d’éluder l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux sur des sommes qui ne seront soumises qu’aux droits de mutation à titre gratuit (en bénéficiant des abattements applicables en la matière).

Descriptif de la mesure proposée

En cas de cession moins de deux ans après la donation (sauf accidents de la vie), la mesure consiste à modifier l’assiette de la plus-value de cession sur laquelle sera taxée le donataire.

Le prix d’acquisition retenu serait non pas, comme aujourd’hui, la valeur des titres retenue pour le calcul des droits de mutation, mais le prix d’acquisition par le donateur, augmenté des droits de mutation éventuellement supportés par le donataire. En contrepartie, le donataire pourrait bénéficier des abattements pour durée de détention décomptés à partir de la date d’acquisition effective des titres par le donateur dans le cadre du nouveau régime d’imposition des plus-values mobilières introduit en loi de finances pour 2013.

Les titres ou droits ayant effectivement fait l’objet d’une donation dans le cadre des dispositifs dits « Pactes Dutreil » seraient exclus du champ de la mesure.

Cet article sera applicable aux donations réalisées à compter du conseil des ministres.

Exemple

Monsieur X détient 90 000 actions de la société A, qu’il a achetées il y a 10 ans au prix unitaire de 1,50 €, soit un prix global de souscription de 135 000 €.

Ces parts valent aujourd’hui 270 000 €.

Monsieur X souhaite permettre à ses enfants de disposer de liquidités.

Monsieur X a identifié des personnes qui seraient intéressées par l’achat de ses parts de la société A. Il s’est engagé à céder ses 90 000 actions qu’il détient pour un prix unitaire de 3 €, soit 270 000 €.

Monsieur X consent une donation-partage à ses trois enfants des 90 000 actions de la société A pour un montant global de 270 000 € et, pour chacun d’entre eux, un montant inférieur à celui de l’abattement en ligne directe (100 000 €) ; aucun droit de donation n’est donc dû.

Les trois enfants cèdent ensuite 15 jours après et conjointement la totalité des titres de la société A reçus en donation.

Entre le protocole d’accord et la conclusion de la transaction, les opérations conclues entre Monsieur X et ses enfants permettent une « purge » totale de la plus-value de cession qui aurait été, en l’absence de donation, taxable sur une base de 135 000 € (270 000 – 135 000), soit une économie fiscale de 46 575 €. En effet, si Monsieur X avait cédé lui-même les titres de la société A avant de faire donation à ses trois enfants quelques jours plus tard des liquidités issues de la cession, il aurait été redevable des 46 575 € d’imposition sur la plus-value.

Dans ce cas de figure, sauf à démontrer le caractère abusif de la donation, démonstration très difficile à effectuer au regard de la jurisprudence restrictive du Conseil d’Etat, l’administration fiscale n’est pas en mesure de remettre en cause fiscalement ce schéma d’optimisation.

Après adoption de la mesure proposée, les enfants de Monsieur X auraient été taxés sur la plus-value réalisée car ils n’auraient pas conservé les titres donnés pendant deux ans.

C     Prévenir les optimisations par apport-cession

Il s’agit de mettre en place une mesure législative pour mettre un terme aux schémas « d’apport-cessions » abusifs, qui s’éloignent de l’intention du législateur qui était de faciliter les restructurations d’entreprises.

Montage abusif fréquemment constaté

Pour ne pas entraver des opérations de restructuration économique, le gain réalisé lors de l’échange de titres (par exemple, en apportant des titres à une société pour obtenir, en échange, des titres de la société bénéficiaire de l’apport) peut n’être pas imposé immédiatement mais à la cession des titres obtenus en contrepartie de l’apport (le contribuable ne disposant pas de liquidités au moment de l’échange).

Ce mécanisme de sursis d’imposition fait l’objet d’un montage optimisant fréquemment utilisé en matière patrimoniale par l’apport à une société que le contribuable contrôle. Il s’agit d’apporter les titres à une société, de s’assurer que celle-ci cède ensuite ces titres en franchise d’imposition (la plus-value étant calculée par rapport à la valeur à laquelle les titres lui ont été apportées et étant donc nulle en cas de cession immédiate), puis de gérer les liquidités ainsi dégagées au sein de la société bénéficiaire de l’apport, en échappant à toute fiscalité personnelle, soit pour acquérir de nouveaux titres, soit pour bénéficier d’avantages liés à ces liquidités (prêts de la société, etc.).

Concrètement, plutôt que de céder directement les titres d’une société A en dégageant une plus-value immédiatement taxable, le contribuable apporte les titres de la société A à une société B qu’il contrôle : la plus-value constatée lors de l’apport est placée en sursis d’imposition et ne fait pas l’objet d’une déclaration. La société B cède ensuite à bref délai les titres de la société A, dégageant une plus-value nulle ou très faible au regard du prix d’apport : ainsi, le contribuable bénéficie indirectement des liquidités dégagées par la cession des titres de la société A, en étant lui-même peu ou très faiblement taxé.

Descriptif de la mesure

La mesure proposée consiste à imposer la plus-value si la société cède les titres dans les cinq ans suivant l’apport, sans réinvestir au moins 50% du produit de la cession dans une activité économique.

Cet article sera applicable aux apports réalisés à compter du conseil des ministres.

Exemple

Monsieur X souhaite vendre ses 100 000 actions de la société A achetées 10 euros l’unité et valant 50 euros pour acheter des actions de la société B. A et B sont des groupes cotés.

Pour ce faire, il les apporte pour une valeur de 5 000 000 euros – soit leur valeur vénale – à une société C, dont il détient les parts. En échange, il reçoit des actions de C d’une valeur  de 5 000 000 euros. La plus-value sur les actions de A (soit 4 000 000 euros) est placée en sursis, c’est à dire qu’elle ne sera due qu’en cas de vente des actions C, qui ne se produira pas dans ce cas d’abus.

Cette société C vend immédiatement les actions de la société A et consacre le produit à l’acquisition d’actions de la société B.

Tout se passe comme si Monsieur X avait échangé ses actions de la société A contre des actions de la société B, en franchise d’impôt et de prélèvements sociaux.

Au regard des règles actuelles de l’abus de droit, l’administration ne peut remettre en cause qu’avec difficulté le sursis d’imposition, qui a vocation à être définitif dans ce type de montage, bien que ’apport soit artificiel et inférieur à 24 heures.

Avec la mesure proposée, un tel schéma d’optimisation ne sera plus possible sans réinvestissement dans un délai de cinq ans d’au moins 50% du produit de la cession des titres concernés dans une activité économique. Après réforme, Monsieur X sera imposé au titre de la plus-value réalisée lors de l’apport-cession des actions soit sur une base de 4 000 000 euros.

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