A quelques jours de l’adoption définitive du texte consacré à la loi de finances pour 2024, beaucoup d’incertitudes demeurent quant au contenu de ce dernier.

Après les dépôts fin septembre d’un projet de loi relativement creux, le texte avait été enrichi par une pluie d’amendements examinés par la Commission des finances de l’Assemblée nationale. A la suite de la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 49 alinéa 3 de la constitution, le débat a rapidement pris fin, nous laissant sur notre faim.

Les sénateurs ont pris le relais dans l’examen du texte et ont adopté (parfois avec l’accord du gouvernement) plusieurs mesures nouvelles.

On attendra dans les jours prochains le verdict final qui résultera très probablement, à nouveau, d’un texte adopté sans débat via la procédure prévue à l’article 49 alinéa 3 de la constitution.

Cette présente newsletter traite de deux sujets qui font débat :

  1. Le préciput et le droit de partage ;
  2. La non-déductibilité de l’assiette taxable aux droits de succession, de la dette de restitution en présence d’un quasi-usufruit.

Nous aurons l’occasion de développer les conséquences pratiques de ces nouveautés lors de notre formation consacrée au panorama de l’actualité fiscale à partir de mi-janvier 2024.

Comme chaque année, nous aurons le plaisir de vous retrouver dans 15 villes pour notre journée de formation en présentiel consacrée au panorama de l’actualité fiscale. Nous effectuerons une synthèse opérationnelle des nouveautés légilsatives, doctrinales et jurisprudentielles de l’année écoulée. 

I. Préciput et droit de partage : La cohabitation pourrait perdurer ?

A. Approche civile du préciput

Selon les dispositions de l’article 1515 du Code civil « Il peut être convenu, dans le contrat de mariage, que le survivant des époux, ou l’un d’eux s’il survit, sera autorisé à prélever sur la communauté, avant tout partage, soit une certaine somme, soit certains biens en nature, soit une certaine quantité d’une espèce déterminée de biens ».

On rappellera :

  • Que le préciput ne peut s’exercer que sur les biens communs ;
  • Que le préciput s’applique avant tout partage ;
  • Que les biens objets du préciput ne sont pas intégrés à l’actif de la communauté au moment de la liquidation puisque le conjoint va les prélever avant cette dernière.

B. La jurisprudence

1. Un premier jugement en faveur du droit de partage

Dans une affaire jugée par le tribunal judiciaire de Rennes du 20 avril 2021 (n°19/03432), l’analyse surprenante de Bercy a été confirmée.

En l’espèce, des époux étaient mariés sous un régime de communauté conventionnelle comprenant une clause de préciput sur la résidence principale et la résidence secondaire. Au décès de Monsieur, son épouse a exercé, en vertu de la clause de préciput, un prélèvement en pleine propriété des résidences principale et secondaire.

L’administration a vu derrière cette opération un partage et a fait valoir l’application du droit de partage au taux de 2,50%. Selon elle, peu importe que le préciput s’exerce avant tout partage, puisqu’en réalité il a les effets du partage en ce qu’il permet un transfert de propriété sur un bien qui ne composait pas le patrimoine du bénéficiaire et qui ne lui est dévolue qu’en raison du décès ouvrant les opérations de partage.

La déclaration de succession caractérise l’existence d’un partage en ce sens que les biens sur lesquels l’option est exercée faisaient partie de l’indivision entre les copartageants, à savoir le conjoint survivant et ses enfants.

2. Deux jugements et un arrêt contre l’application du droit de partage

Cette analyse a été censurée par la suite à trois reprises par les tribunaux judiciaires de Niort (TJ Niort, 22 mars 2022, n°20/01453), de Lille (TJ Lille, 4 avril 2022, n°20/03477), mais également par la Cour d’Appel de Poitiers-(CA Poitiers, 4 juillet 2023, RG n°22/01034).

« Le préciput a pour objet de permettre au conjoint survivant de prélever des biens communs avant tout partage, biens qui sont réputés lui avoir appartenu dès la dissolution de la communauté (…). Les biens ainsi prélevés ne feront plus partie de la masse successorale à partager. L’exercice de la clause de préciput n’a donc qu’une fonction de prélèvement par le seul conjoint survivant et non d’allotissements entre plusieurs copartageants ».

La décision de la Cour d’appel de Poitiers est clairement motivée :

« Les jugements du tribunal judiciaire de Rennes en date du 20 avril 2021, de Niort en date du 22 mars 2022 et de Lille en date du 4 avril 2022, ont fait l’objet d’une note de doctrine intitulée ‘Préciput et droit de partage : un couple illégitime’ (Defrénois n° 29-33 du 21 juillet 2022) qui approuve l’analyse retenue par les juges niortais et lillois et critique celle du tribunal de Rennes qui considère que la déclaration de succession équivaut à un acte de partage. Selon les auteurs de cette note en effet, la déclaration de succession est qualifiée par la Cour de cassation de document purement fiscal dénué d’incidence sur le plan civil. Ils en déduisent qu’aucun acte établi consécutivement à l’exercice du préciput n’a les attributs d’un acte de partage.

La cour ne saurait pas mieux dire.

C’est de façon justifiée que le premier juge a jugé qu’il n’existait pas une véritable opération de partage ouvrant droit à taxation supplémentaire. »

    C. Fin de l’histoire ? 

    A la lecture des décisions exposées ci-dessus et notamment celle de la Cour de Poitiers, on pouvait espérer un épilogue heureux.

    Dans le cadre des débats sur le projet de loi de finances pour 2024, un amendement qui permettait de clarifier la situation a été déposé.

    Ce dernier proposait de modifier les dispositions de l’article 746 du CGI en y ajoutant l’heureuse précision suivante :

    « L’exercice d’une faculté de préciput exercée dans les conditions prévues à l’article 1515 du code civil, à défaut d’existence d’une indivision, ne donne pas ouverture au droit de partage. »

    Mais coup de théâtre ! le gouvernement a indiqué qu’il était défavorable à cette disposition et a déclaré qu’il préférait s’en remettre à la jurisprudence (on supposera qu’il est fait référence à l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers).

      D. Conclusion

      Le dossier n’est donc pas clos. Il faudra attendre l’adoption définitive du texte pour connaitre le sort de cet amendement.

      La position de Bercy est à nos yeux difficilement compréhensible :

      • Les dispositions de l’article 1515 du Code civil sont très claires ;
      • Vouloir taxer au droit de partage une opération qui intervient avant le partage est une solution plutôt originale ;
      • Si Bercy, pour des raisons budgétaires souhaite taxer les opérations de préciput, il lui suffirait de créer une imposition ad hoc.
      • Bercy semble donc ici jouer la montre en ne tranchant pas.

      On espère que la Cour de cassation aura prochainement l’occasion de se prononcer afin de clarifier la situation en qu’en cas de décision défavorable à l’administration, cette dernière sera bonne joueuse.

        II. Quasi-usufruit et non déductibilité de la dette de restitution

        A. Rappels

        Les dispositions de l’article 587 du Code civil fixent les contours du quasi-usufruit et prévoient que :

        « Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution. »

        Cette dette de restitution reconnue sur le plan civil constitue en principe un passif successoral déductible dès lors qu’un acte opposable au fisc permet de démontrer son existence et son montant.

        B. Le contentieux et la position du Comité de droit fiscal

        Une certaine pratique a semble-t-il, ces derniers temps, mis le feu aux poudres. Il s’agit de la donation de numéraire avec réserve d’usufruit, donc de quasi-usufruit. Si elle n’est pas admise dans le cadre d’une donation-partage (article 1078 du Code civil[1]), elle n’est pas interdite dans le cadre des donations simples.

        Cette donation en numéraire avec réserve de quasi-usufruit divise les praticiens ; elle a été montrée du doigt par Bercy dans plusieurs redressements. Pour l’un d’eux, le Comité de l’abus de droit fiscal a été saisi pour avis.

        Les faits étaient les suivants :

        • Madame [Z] avait consenti en N à ses deux enfants une donation de la nue-propriété d’une somme d’argent dont elle s’est réservé l’usufruit (quasi-usufruit).
        • La valeur en pleine propriété de la somme donnée était de 3,2 M€. A cette date, le donateur ne disposait que de 2,9 M€ de liquidités sur ses comptes bancaires.
        • A la suite du décès en N+5 de Madame [Z] la déclaration de succession de cette dernière a fait apparaitre un passif d’un montant de 3,2 M€ à raison du quasi-usufruit né en N.

        Dans le cadre d’un  contrôle fiscal, l’administration a déclenché la procédure de répression des abus de droit.

        Selon elle on était en présence d’un abus de droit par fictivité. La donation était selon elle fictive faute de dessaisissement et d’intention libérale de la donatrice. Il était en outre souligné que la donation n’était assortie d’aucune garantie au profit des nus-propriétaires (en l’espèce l’usufruitier avait été dispensé d’obligation de remploi et de fournir caution).

        Enfin pour Bercy, le seul but de la manœuvre était de réduire la base taxable aux droits de succession.

        Le Comité de l’abus de droit n’a pas partagé cette analyse. (CADF, aff. N°2022-15 et 2022-16, séance n°1/2023 du 11 mai 2023). Selon lui, la dette de quasi-usufruit est la conséquence légale de la constitution du quasi-usufruit (art.587 CCiv.). La fictivité de l’opération ne pouvait être retenue.

        L’abus de droit a toutefois été retenu partiellement dans la mesure où le montant des liquidités possédées au jour de la donation par le donateur étaient inférieures au montant donné.

        Sur ce point le Comité a estimé que le démembrement ne peut pas porter sur une somme qui n’existe pas dans le patrimoine du donateur. L’acte de donation a été estimé fictif uniquement à hauteur de la différence, soit en l’espèce 300 000 €.

        [1] Nonobstant les règles applicables aux donations entre vifs, les biens donnés seront, sauf convention contraire, évalués au jour de la donation-partage pour l’imputation et le calcul de la réserve, à condition que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l’ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l’aient expressément accepté, et qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent

          C. Le débat parlementaire

           

          Un amendement déposé au Sénat et soutenu par le gouvernement (PLF 2024, Mme Nathalie GOULET, M. CANÉVET et Mme VERMEILLET) propose de contrer la solution retenue par l’avis du CAD exposé ci-dessus.

          Il est proposé une rédaction de l’article 774 du CGI comme suit :

          « I . – Ne sont pas déductibles de l’actif successoral les dettes de restitution exigibles qui portent sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit.

          « Les dispositions du présent I ne s’appliquent pas aux dettes de restitution contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit, sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal, ni aux usufruits qui résultent de l’application des articles 757 ou 1094-1 du code civil.

          « II. – Par dérogation aux dispositions de l’article 1133 du présent code, la valeur correspondant à la dette de restitution non-déductible de l’actif successoral mentionnée au I donne lieu à la perception de droits de mutation par décès dus par le nu-propriétaire et calculés d’après le degré de parenté existant entre ce dernier et l’usufruitier, au moment de la succession ou de la constitution de l’usufruit, si les droits dus sont inférieurs.

          « Les droits acquittés lors de la constitution de l’usufruit sont imputés sur les droits dus par le nu-propriétaire, sans pouvoir donner lieu à restitution. »

          Pour certaines situations, la dette de restitution ne serait ainsi plus une dette fiscalement déductible.

            D. Conclusion

            On semble comprendre à la lecture des débats que l’opération qui est dans le viseur de Bercy et du législateur est la donation de somme d’argent avec réserve de quasi-usufruit. L’amendement serait la réponse à l’avis du CAD exposé plus haut.

            Faut-il s’inquiéter de l’éventuelle adoption de ce texte ? Toutes les situations de quasi-usufruit sont-elles visées ? Non ne le pensons pas, même si le texte de l’amendement de brille pas par sa clarté. Il nous faut à ce jour différentier ce qui est certain de ce qui est probable.

            1. Ce qui est certain

            Le texte nouveau :

            • Vise les passifs créés à la suite de donations de sommes d’argent avec réserve de quasi-usufruit ;
            • Exclut expressément les dettes de restitution liées à des quasi-usufruits stipulés sur le prix de cession de biens démembrés à l’occasion d’une donation de la nue-propriété à condition de démontrer que l’opération n’a pas été mise en place dans un but principalement fiscal.

            2. Ce qui est probable :

            Le texte nouveau :

            • Ne devraient pas être visées les quasi-usufruits légaux en faveur des conjoints survivants ;
            • Ne devraient pas être visées les quasi-usufruits mis en place dans les clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie ;
            • Ne devraient pas être visées les quasi-usufruits sur les distributions de réserves en présence de titres démembrés.

            A priori la portée du texte devrait être limitée.

              Nous aurons l’occasion de développer les conséquences pratiques de ces nouveautés lors de notre formation consacrée au panorama de l’actualité fiscale à partir de mi-janvier 2024.