I. La problématique

L’article 1515 du Code civil dispose qu’il peut être convenu, dans le contrat de mariage, que le survivant des époux, ou l’un d’eux s’il survit, sera autorisé à prélever sur la communauté, avant tout partage, soit une certaine somme, soit certains biens en nature, soit une certaine quantité d’une espèce déterminée de biens.

Aux termes de l’article 746 du CGI, les partages de biens meubles et immeubles entre copropriétaires, cohéritiers et coassociés, à quelque titre que ce soit, pourvu qu’il en soit justifié, sont assujettis à un droit d’enregistrement ou à une taxe de publicité foncière de 2,50 %.

Il faut donc qu’il y ait partage pour que ce droit soit exigible. Ce principe semblait clair !

II. Naissance d’un contentieux ubuesque

Malgré cette évidence juridico-fiscale, depuis quelques années l’administration a, à plusieurs reprises, procédé à des redressements tendant à soumettre au droit de partage l’exécution de clause de préciput.

Ces redressements que l’on qualifiera de juridiquement surprenant, voire d’ubuesques, ont fait l’objet de contentieux.

A. Les décisions en première instance

Notre étonnement était intense à la lecture d’une décision du tribunal judiciaire de Rennes venant confirmer l’analyse de l’administration (TJ Rennes n°19-04432 20/04/2021).

Deux autres décisions de tribunaux judiciaires (TJ Niort n°20-01453 22/03/2022 – TJ Lille n°20-03477 04/04/2022) avaient au contraire suivi la voie de la raison et avaient renvoyé le fisc à ses chères études juridiques.

Une décision identique au deux précédentes avait par ailleurs été rendu le 1er avril par le Tribunal judiciaire de Tours (TJ Tours n°24/00351 01/04/2025)

B. Les décisions en Cour d’appel

La Cour de Poitiers traitant en appel la décision du TJ de Niort visée ci-dessus a rendu une décision fort logique à nos yeux qui censurait l’analyse administrative. (CA Poitiers 4 juillet 2023, n°22/01034).

La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 19 mars 2024 (CA Rennes n°21/03418 19/03/2024) a considéré que le préciput est une restriction de la masse à partager. Par l’exercice de sa faculté, le conjoint vient réduire les biens communs, appelés à former la masse indivise. Il n’était donc pas concevable de traiter le préciput comme une attribution dans le partage.

La Cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt du 24 septembre 2024, (CA Grenoble n°23/01411 24/09/2024) a considéré que la mention de l’article 1515 selon laquelle l’autorisation ainsi donnée au conjoint survivant lui permet de prélever les biens prévus dans le préciput « avant tout partagée », ne saurait être considérée, à elle seule, comme permettant d’exclure le préciput de la qualification d’acte de partage, et donc que le préciput était bien soumis au droit de partage de l’article 746 du CGI.

Tout récemment, en mai 2025, la Cour d’appel de Grenoble a de nouveau été saisie sur une affaire en 2025, elle a rendu une décision totalement inverse de septembre 2024 (CA Grenoble n°23/02572 14/05/2025), considérant que « l’exécution du préciput n’était pas une opération de partage, et qu’en conséquence, il ne peut donner lieu à perception de droits par l’administration fiscale. »

Focus sur l’arrêt de la CA Grenoble n°23/02572 14/05/2025

Pour ce litige, un couple s’était marié sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts en 1965. En 2012, époux ont adopté le régime de la communauté universelle, une maison restant un bien propre à l’épouse.

En outre a été stipulée la clause suivante : « préciput en faveur du survivant des époux :

En cas de dissolution de la communauté par décès, et dans ce cas seulement, le survivant des époux pourra prélever sur la communauté avant tout partage, et à titre de préciput tout ou partie des biens et droits ci-après : la pleine propriété des biens et droits immobiliers affectés au premier décès à la résidence principale des époux (..), les meubles meublants (..) qui garniront l’habitation principale des époux, tous véhicules à usage personnel des époux, l’argent liquide disponible (..), l’usufruit des biens et droits immobiliers sis à [X] (..)

Conformément aux dispositions de l’article 1516 du code civil, ce préciput ne constituera pas une donation, mais une convention de mariage. Toutefois, en cas de présence d’enfant non commun, cet avantage s’analysera en une libéralité préciputaire qu’il sera nécessaire de comprendre dans le calcul de la quotité disponible en application des dispositions de l’article 922 du Code civil. »

Le 29/04/2015, le mari est décédé, laissant pour lui succéder son épouse et leurs trois enfants.

Le 22/04/2016, la veuve a déclaré prélever sur la communauté, en application de la clause de préciput plusieurs biens.

Le même jour, les héritiers ont déposé une déclaration de succession et se sont acquittés des droits de mutation liés à la succession.

Le 06/12/2019, l’administration fiscale a émis une proposition de rectification, selon laquelle le conjoint survivant devait s’acquitter de 38 724 € de droits de partage.

Le tribunal judiciaire de Grenoble, par jugement du 19/06/2023, a prononcé le dégrèvement des droits réclamés.

L’administration fiscale a relevé appel de cette décision.

Selon elle :

  • La délivrance du préciput survenant postérieurement au décès d’un des époux, elle est ainsi postérieure à la naissance des indivisions communautaire et successorale ;
  • Son montant exact ne peut être connu qu’au terme des opérations liquidatives ;
  • Le préciput revêt donc le caractère d’une opération de partage ;
  • En conséquence, le droit de partage doit s’appliquer au préciput.

Cette analyse est clairement et logiquement censurée par la Cour de Grenoble. Il est jugé que l’exécution du préciput n’était pas une opération de partage, et qu’en conséquence, il ne pouvait donner lieu à perception de droits par l’administration fiscale.

C. La position de la Cour de cassation

Il est revenu à la Cour de cassation de trancher la situation traitée par la Cour d’appel de Poitiers en juillet 2023 (voir ci-dessus).

Le 16 octobre 2024, Les juges de la Chambre commerciale ont décidé de saisir pour avis la première chambre civile de la Haute institution (Cass. com. n°23-19.780 16/10/2024). Cette dernière vient de rendre cet avis tant attendu et renvoie l’administration à l’étude des principes fondamentaux du droit civil.

III. La décision

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